UN FOYER DE BONHEUR ET DE JOIE.Partie 1
- Or Torah | LDEJ
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La Mitsva et son histoires 2
La place éminente que la Torah accorde au foyer juif est un pilier de notre tradition. À tel point qu’une mitsva spécifique exempte le nouveau marié, durant une année entière, de toute obligation militaire.
Le but étant de lui permettre de se consacrer entièrement à la joie de son épouse, afin que leur union naissante s’épanouisse dans le bonheur et l’allégresse.
La préservation de cette harmonie conjugale, le chalom bayit, est si fondamentale que la Torah elle-même consent à l’effacement du Nom divin dans les eaux amères de l’épreuve de la Sotah, pourvu que la paix soit rétablie dans le couple. Dans le même esprit, nos Sages enseignent que la lumière des bougies de Chabbat l’emporte sur tous les autres impératifs, car elle est la garante de la paix dans la maison.
Rabbi Akiva pousse cette vision encore plus loin en affirmant que la Chekhina elle-même réside au sein d’un couple qui vit dans l’harmonie. C’est le secret des noms hébraïques de l’homme (Ich, איש) et de la femme (Icha, אשה), qui portent en eux les lettres du Nom divin, youd et hé. Si, par leur accord, ils unissent ces lettres, la Présence Divine est parmi eux. Mais si, à D-ieu ne plaise, ils ne s’entendent pas entre eux, le Nom divin n’est plus présent il ne leur reste à chacun que ech (אש) : le feu dévastateur de la discorde.
Nous proposons dans ce numéro dix conseils et messages de vie pour faire de chaque foyer un havre de bonheur, de paix et de joie. Ces préceptes, inspirés des halakhot édictées par nos Maîtres, reposent sur un pilier central de la Torah : « Veahavta leréaha kamoha — Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Or, nos Hakhamim nous rappellent que le premier « prochain » est bien son propre conjoint, sur lequel s’applique ce commandement en priorité.
1. La Netina : l’art de donner sans attendre en retour
Le premier fondement d'un foyer harmonieux réside dans l'aptitude de chaque conjoint à se préoccuper non de recevoir et réclamer, mais de donner dans le seul but de rendre l'autre heureux, sans aucun calcul d'intérêt.
Le Rav Dessler avertissait les jeunes mariés avec une profonde sagesse :
« Tant que votre préoccupation mutuelle sera de donner et de combler l'autre, vous connaîtrez le plus grand des bonheurs. Dès lors que la logique s'inversera et que chacun cherchera à prendre, la paix désertera votre foyer. »
Cette idée puise sa source dans le verset qui scelle l'essence même de notre monde : « Olam hessed yibané — Le monde est bâti sur la bonté. » Comme l'explique le Pahad Yitshak, cette générosité fondamentale n'est pas un simple détail de la Création ; il en est la matrice même. Le monde fut créé par la bonté infinie d'Hachem, et le peuple d'Israël fut fondé sur le hessed d'Avraham Avinou. Toute construction pérenne, qu'elle soit matérielle ou spirituelle, doit impérativement reposer sur ce socle de bonté désintéressée.
Rabbénou Yona, dans son commentaire sur les Pirkei Avot, nous enseigne que la générosité est la racine de toutes les midot tovot. Celui qui s'exerce à donner cultive en lui un terreau fertile pour toutes les autres vertus. À l'inverse, prévient-il, « ne croyez pas que l'avare — le kili, celui qui ne pense qu'à soi — ne souffre que d'un défaut mineur. Son attitude est en réalité la source de tous les défauts. »
Dans son célèbre Kountrass ha-Netina, le Rav Dessler développe cette thèse avec une grande profondeur. Il démontre que la Netina est la base de toute société saine, qu'il s'agisse de nations, d'associations, de familles et, au premier chef, du couple.
On raconte qu’Alexandre le Grand, visitant un lointain royaume, voulut assister au jugement rendu par le tribunal local. Il fut alors le témoin d’une dispute pour le moins singulière. Un homme venait d’acquérir un terrain et, en y effectuant des travaux, y avait découvert un trésor. Il s’empressa de retourner voir le vendeur pour le lui restituer, affirmant que le trésor ne lui appartenait pas. Mais le vendeur refusa, arguant avec tout autant de conviction : « Lorsque j’ai vendu ce terrain, je l’ai vendu tout ce qu’il contenait ! ». Chacun, avec une ferveur obstinée, cherchait non pas à s’approprier le trésor, mais à le céder à l’autre. Le juge, après les avoir écoutés, leur proposa une solution originale : l’un ayant un fils et l’autre une fille, qu’on les unisse par le mariage et que le trésor constitue leur dot.
Alexandre le Grand ne put cacher sa stupéfaction. « Est-ce ainsi que vous rendez la justice ? » demanda-t-il. Le juge, à son tour, l’interrogea : « Et comment auriez-vous jugé, dans votre pays ? » La réponse du conquérant fut : « Nous aurions fait périr les deux hommes et confisqué le trésor pour le roi. » Le sage souverain, horrifié, demanda alors : « Le soleil brille-t-il sur votre royaume ? » Devant la réponse affirmative d’Alexandre, il conclut : « S’il brille, ce ne peut être que par le mérite des animaux, car des hommes d’une telle nature ne méritent certes pas sa lumière. »
Le Rav Dessler tire de ce récit un enseignement extraordinaire : pour qu’un foyer soit baigné de lumière, pour que le soleil du bonheur y brille, il est impératif que chaque conjoint considère l’autre comme prioritaire. Dans une telle atmosphère de don mutuel, où chacun s’efforce de dire « c’est pour toi », la plénitude s'installe. À l’inverse, le modèle fondé sur une éthique prédatrice où l’on cherche à prendre et à éliminer l’autre pour son propre profit, ne peut conduire qu’au vide et aux ténèbres. Dans une telle maison, assurément, le soleil ne brillera jamais.
Rav Dessler va plus loin encore, avec une idée lumineuse : la Netina est la source même de l'amour. Car en donnant à l'autre, on investit une part de soi-même en lui. L'autre devient, en quelque sorte, une extension de notre être. Cet investissement affectif, même envers un inconnu ou un animal, crée un lien indéfectible. Ainsi, en donnant à son conjoint, on ne fait pas que lui faire plaisir : on le fait devenir une partie de nous-mêmes. La Netina ne suit pas l'amour, elle le précède et le crée.
Une anecdote illustre parfaitement cette dynamique. Un père âgé et son fils se disputaient pour savoir qui utiliserait leur unique manteau pendant l’hiver. Le père invoquait son grand âge, le fils, la nécessité d'aller travailler au marché. Incapables de s'entendre, ils allèrent consulter le Rav de leur ville, qui, perplexe, leur demanda de revenir une semaine plus tard. Durant cette semaine, la réflexion fit son œuvre. Quand ils revinrent, la dispute s'était inversée. Le fils suppliait son père de garder le manteau, arguant de sa jeunesse et de sa vigueur. Le père, à son tour, insistait pour que son fils le prenne, lui qui allait affronter le froid pour faire vivre la famille. En entendant cela, le Rav sourit, entra dans son bureau et en ressortit avec un second manteau. « Voilà le problème résolu », dit-il. « Mais pourquoi ne pas l'avoir fait la semaine dernière ? » demandèrent-ils. Le Rav répondit : « La première fois, j'ai vu deux âmes égoïstes où chacun ne pensait qu'à prendre. Cette attitude m'a moi-même rendu avare. Mais la seconde fois, j'ai vu deux cœurs désireux de donner. Votre générosité a éveillé la mienne. » Telle est la réalité du couple : lorsque chacun s'inquiète de l'autre, tous les deux finissent par être comblés.
Ce message trouve un écho saisissant dans la parachat Sotah. Juste avant d'aborder le cas de la femme soupçonnée d'infidélité, la Torah énonce : « Ich ète kodachav lo yihyé ». Rachi établit un lien surprenant entre ce verset et le passage qui suit : celui qui se montre avare avec les dons dus au Cohen (lo yihyé pouvant se lire « il les garde pour lui ») finira par se rendre chez ce même Cohen pour l'épreuve de sa femme. Les commentateurs expliquent qu’il y a ici un enseignement plus profond. Un homme à l'esprit si étroit qu'il refuse même de donner ce qu'il doit à la communauté et à Hachem, manifeste un caractère terriblement égoïste. Sa femme, vivant au contact de cet état d’esprit, risque à son tour de se replier sur elle-même et de chercher des satisfactions en dehors de son foyer. De plus, un mari qui prive sa femme de bien-être et de générosité crée un climat qui peut, has vechalom, la pousser à la faute.
Une histoire magnifique, tirée du Sefer Maassiyot, pour conclure. Trois hommes, un grand sage, un riche marchand et un homme simple, se lamentaient sur leur sort aux portes d'une ville. Eliahou hanavi leur apparut à tous les trois.
Le sage pleurait sa science et ses élèves perdus. Eliahou lui offrit un petit livre en lui disant : « Place-le dans ta bibliothèque et tout te sera rendu. À une condition : enseigne la Torah à quiconque te le demandera, quel que soit son niveau. » Le riche pleurait sa fortune évanouie. Eliahou lui donna deux pièces : « Place-les dans ton coffre et tu t'enrichiras. À une condition : sois toujours généreux avec les pauvres. » Le troisième homme, lui, se lamentait : « Ma femme m'a chassé de la maison. » Eliahou lui dit : « Pour toi, pas de don, mais un conseil : ne lui fais plus que des compliments sans aucun reproche. Remercie-la pour tout, loue ses qualités du matin au soir, et la paix reviendra. » Les trois promesses s'accomplirent.
Deux ans plus tard, Eliahou hanavi revint. Il se présenta au sage, se faisant passer pour un ignorant désireux d'étudier. « Ce n'est pas un lieu pour vous, ici nous ne formons que des génies ! » fut la réponse. Eliahou se dévoila et lui reprit son livre. Bientôt, le sage perdit tout à nouveau. Il se rendit ensuite chez le riche, dont la maison était devenue une forteresse. « Tu avais promis d'aider les autres », lui rappela Eliahou. « Tu crois que ce sont tes deux pièces qui m'ont enrichi ? C'est mon intelligence ! » rétorqua le riche. Eliahou lui reprit ses deux pièces, et il redevint pauvre.
Enfin, il se rendit chez le troisième homme et demanda l'hospitalité. L'homme l'accueillit avec joie. Eliahou observa comment, à chaque plat servi par son épouse, le mari la couvrait de louanges : « Merci, ma chérie, c'est délicieux, tu es extraordinaire ! » Au milieu du repas, Eliahou prit la parole et rappela à son hôte leur rencontre. « Tes deux compagnons d'infortune ont oublié leur promesse, leur cœur s'est refermé. Toi, en revanche, tu as compris que la plus grande sagesse et la plus grande richesse résident dans l'art d'honorer et de donner à l'autre. Tu mérites donc tout : je t'offre le livre du sage et les pièces du riche. Tu auras la sagesse, la fortune et la paix du foyer, car tu en as saisi l'unique fondement. »
2. L'Amour, fondement du foyer
Le second pilier, indissociable du premier, est l’amour, la ahava. Maïmonide énonce à ce sujet une règle d’or : qu’un homme aime son épouse comme lui-même, et qu’il l’honore plus encore qu’il ne s’honore lui-même. En retour, qu’une femme honore son mari de manière exceptionnelle, le considérant avec l’égard dû à un prince ou à un roi.
L’amour au sein du couple est un fondement essentiel de sa cohésion. Le roi Salomon nous en dévoile le secret dans son infinie sagesse : « Al kol pecha'im tekhasseh ahava — Sur toutes les fautes, l’amour jettera un voile ». L’amour véritable possède cette faculté unique de transcender les imperfections et d’inspirer le pardon. Lorsque l’on aime, l’on devient capable de ne plus voir les défauts de l’autre, d’accepter ses faiblesses et de tout pardonner, à l’image de l’idéalisation qui caractérise la période des fiançailles. Pour que cette clémence perdure, l’amour doit être constamment nourri. Le prophète Malachie ne dit-il pas : « Vehi havretekha veéchet britekha — Elle est ta compagne et la femme de ton alliance » ?
Le Talmud (Sanhédrin) illustre cette vérité par une image : « Lorsqu’ils s’aimaient, la lame d’une épée leur suffisait pour couche. Lorsqu’ils cessèrent de s’aimer, un lit de soixante coudées ne leur suffisait plus. » La Torah, dans sa prescience, sait qu’un homme est enclin à se pardonner ses propres manquements ; de même, l’amour qu’il porte à son épouse l’amène à lui pardonner avec la même aisance.
C’est pour préserver cette flamme que, selon Rabbi Meïr, la Torah a instauré les lois de pureté familiale. La vie commune peut engendrer une lassitude, une habitude qui émousse les sentiments les plus vifs. Même ce que nous chérissons le plus peut, par excès de familiarité, perdre de son intensité. Cette routine risque d’éroder les sentiments, et alors chaque désaccord même le plus léger pourrait devenir source de conflit. Rabbi Meïr explique que les interdits de la période de Niddah ont pour dessein que, chaque mois, l’épouse redevienne aux yeux de son mari aussi désirable et précieuse qu’au jour où elle entra sous la houppah. C’est un investissement pour une ahava toujours flamboyante. Et lorsque l’amour règne, l’acceptation de l’autre dans sa différence devient une évidence.
Mais de quel amour parlons-nous ? La Michna dans le traité de Avot nous met en garde : « Tout amour qui dépend d’une cause, lorsque la cause disparaît, l’amour disparaît avec elle. »
L’amour d’Amnon pour Tamar, motivé par un désir éphémère, se mua en une haine féroce sitôt l’intérêt assouvi, engendrant un grave désastre. À l’inverse, un amour désintéressé, comme celui qui unissait David et Yonathan, est éternel. Même lorsque Yonathan comprit que David prendrait la place qui lui était destinée, son amour ne faiblit pas, car il n'était fondé sur aucun profit.
Le Hatam Sofer ajoute un point étonnant : il n’est pas même nécessaire que cet amour inconditionnel soit partagé d’emblée ! Dès lors qu’une personne aime l’autre d’un amour pur et sans attente, celui qui est aimé ressent la puissance de ce sentiment et, même si ses propres inclinations étaient au départ intéressées, il finit par aimer en retour de la même manière. C’est une dynamique de réciprocité : si l’on cherche uniquement à donner à l’autre, mû par un amour propre et désintéressé, l’autre sera inévitablement porté à répondre par un amour de même nature.
Nos Hakhamim enseignent que la femme vertueuse (icha kechera) est « celle qui accomplit la volonté de son mari ». Mais cette définition recèle une condition implicite : une femme ne peut chercher à combler son époux que si elle-même se sent épanouie et en bien-être. Si un mari investit dans le bonheur de sa femme, s’il cultive en elle un sentiment de plénitude, elle cherchera naturellement à lui faire plaisir.
Comme l’enseignent les grands Rabbanim, lorsque l’amour vacille dans un couple, tous les problèmes latents remontent à la surface. Mais si l’on s’attache à bâtir un amour profond, désintéressé et tourné vers l’autre, alors toutes les difficultés s’effacent et perdent leur substance.
3. La Compréhension Mutuelle
Le troisième fondement est la compréhension de l’autre, ce que nos Sages nomment havanat hazoulat.
L’épisode de la Tour de Babel nous offre à ce sujet un enseignement saisissant. Les hommes de cette génération, unis par un projet commun et une entente parfaite, bâtissaient un édifice qui, selon la Torah elle-même, aurait pu atteindre des sommets prodigieux. Pour mettre un terme à cette entreprise, D ieu n’eut recours qu’à une seule arme : la confusion des langues. Le verset nous dit : « Acher lo yavinou ich sefat rééhou — Afin que nul ne comprenne plus le langage de son prochain ». Dès lors que la communication fut rompue, le chaos s’installa. L’un demandait un marteau, l’autre lui tendait une pierre ; la colère éclatait, les coups pleuvaient, et l’édifice ne put être continué dans ces conditions. Finalement, le projet tout entier s’effondra.
De même, lorsque la compréhension mutuelle règne, un couple peut bâtir un foyer merveilleux. Mais si l’un des deux conjoints manque de la sensibilité nécessaire pour comprendre l’autre, c’est la destruction qui menace.
Hakadoch Baroukh Hou a créé l’homme et la femme différents afin que, par leur complémentarité, chacun accomplisse sa mission. Deux modes de fonctionnement distincts, mais essentiels, régissent ainsi la dynamique du couple. Le sekhel représente la sphère de l’intellect, de la logique pure, des décisions prises par la réflexion en dehors de toute influence sentimentale. Le reguech, à l’inverse, est le domaine du ressenti, de l’émotion, un mode d’être qui a besoin de sentir profondément les choses pour agir.
Cet écart peut créer des incompréhensions profondes, où l’un peut juger l’autre insensible ou irresponsable. Or, c’est précisément cette dualité qui, si elle est comprise, permet une complémentarité extraordinaire.
Pour filer une métaphore, le sekhel s’apparente à une voiture citadine, agile et flexible, capable de changer de direction à tout moment, de s’adapter sans préavis. Le reguech, lui, est semblable à un poids lourd engagé sur une route : une fois sa trajectoire lancée, il ne peut faire demi-tour ni changer de cap brusquement. Tout doit être planifié, organisé, sécurisé.
Si l’on est capable de comprendre cette différence fondamentale, on élimine une grande part de la nervosité et du jugement, et l’on peut alors véritablement chercher à combler l’autre. Plus la réaction d'un conjoint nous semble étrange, inexplicable ou disproportionnée, plus nous devrions comprendre qu'elle est certainement dictée par une logique différente de la nôtre.
Prenons un exemple, trivial en apparence, mais oh combien éclairant en définitive : l’histoire du sac-poubelle. Un homme rentre chez lui après une journée de travail harassante. Il passe un agréable moment en famille autour du dîner. Une fois le repas terminé, tandis que son épouse s’affaire au rangement de la maison, il s’occupe de ses propres affaires. Tard dans la soirée, vers minuit, elle lui demande de bien vouloir descendre les ordures. Le mari, rationnel, propose alors : « Fermons le sac. Demain matin, en partant à la prière, je le descendrai. »
Le scénario, hélas classique, s’enclenche alors. L’épouse insiste pour que cela soit fait sur-le-champ. Le mari a beau argumenter — la fatigue, l’heure tardive, l’ascenseur en panne, la promesse de le faire à la première heure — rien n’y fait. Une dispute violente peut éclater, le mari ne comprenant pas le manque de compassion de sa femme, et celle-ci ne comprenant pas le refus de son mari de faire ce petit effort après tout ce qu’elle a accompli. Chacun, enfermé dans sa propre logique, juge l’autre cruel, têtu ou égoïste.
En réalité, la différence fondamentale réside dans l'opposition entre la logique et l'émotion. Pour l'homme, c'est une question pratique sans grande importance. Sa logique lui dicte qu'il est plus raisonnable d'attendre le lendemain matin. Pour la femme, c'est avant tout une question de sentiment.
Après avoir tout organisé et nettoyé dans sa maison, elle souhaite la voir parfaite et propre. Elle veut pouvoir aller se coucher l'esprit tranquille. Au-delà du risque que son mari oublie le sac le lendemain — comme cela arrive bien souvent, elle ne peut pas se reposer tant que cette tâche n'est pas accomplie. Ce sac poubelle représente pour elle une « tâche noire » qui ternit la perfection de son foyer.
S’il n’y a pas de compréhension, la dispute est inévitable. Mais si le mari comprend que, bien que la question lui semble futile, elle est d’une importance capitale pour le bien-être de son épouse, trois issues positives deviennent possibles :
Il lui fait plaisir, car la compréhension engendre le désir de combler l’autre.
S’il est véritablement trop épuisé, il ne refusera pas sèchement. Il exprimera son désir sincère de le faire, mais son incapacité physique, avec des mots d’apaisement qui montrent qu’il a compris l’importance de sa demande.
Même dans le cas d’un refus, il saura l’enrober de douceur et d’empathie, afin d’amortir le choc et de prévenir toute rancœur.
Ce principe éclaire d’innombrables situations : le besoin de retourner faire une course pour un brin de persil qui sublimera une salade de Chabbat ; la tension provoquée par un retard après le travail, qui peut être ressenti non comme un contretemps logistique mais comme un abandon affectif ; l’importance capitale que revêtent certains détails pour l’un, alors qu’ils sont insignifiants pour l’autre.
Lorsqu’il s’agit du reguech, les choses doivent être abordées avec délicatesse et préparation. Un refus direct — un « non » catégorique à une demande — est souvent interprété non comme un désaccord sur l’objet, mais comme un rejet de la personne : « Il ne me comprend pas ». Plutôt que de refuser, il convient d’ouvrir le dialogue, de partager son point de vue, de chercher ensemble une solution et de valider le sentiment de l’autre, afin que la moindre discussion ne dégénère en conflit.
Il faut enfin savoir décrypter le mal-être de l’autre, qui s’exprime souvent de manière paradoxale, car les sentiments sont difficiles à verbaliser. Un homme racontait que son épouse, bien que profondément aimante, pouvait, dans des moments de détresse, lui lancer les paroles les plus dures : « Maudit soit le jour où je t’ai rencontré ! ». Ayant compris que ces mots n’étaient pas une attaque personnelle mais le symptôme d’une souffrance intérieure, il avait appris, au lieu de riposter, à l’inviter à sortir ou aller au restaurant, etc. Quelques instants plus tard, la crise passait, et ne restaient que des mots d’amour. Il avait su voir, derrière l’agression apparente, un appel à l’aide.
Le Rav Zilberstein rapporte une histoire similaire. Il se trouvait chez un couple, un Erev Chabbat. L’épouse, après avoir préparé la maison de façon admirable, glissa dans sa hâte et renversa une bouteille d’huile sur les murs fraîchement nettoyés. Sous le choc, elle se tourna vers son mari et s’écria avec colère : « Pourquoi as-tu fait ça ? Tu as tout sali ! ». Le Rav s’attendit à une explosion de la part du mari, accusé à tort. Mais celui-ci resta silencieux, puis aida sa femme avec une douceur infinie. Interrogé plus tard par le Rav sur sa maîtrise de soi, il répondit : « J’ai compris depuis longtemps que dans ces moments de douleur, ma femme ne mesure pas ses paroles. Ma décision de me taire et de la réconforter est si ancrée en moi que rien ne peut la faire vaciller ».
Savoir se taire, savoir décrypter la raison profonde d’une colère ou d’une tristesse, identifier le mal-être caché derrière les mots et y apporter une solution apaisante : voilà le secret d’un chalom bayit extraordinaire. Il ne s’agit pas seulement d’éviter le conflit, mais de réconforter l’autre plutôt que de l’enfoncer.
4. La Vigilance et la Sensibilité
Le quatrième principe est celui de la zehirout, cette prudence délicate que l’on doit observer à l’égard de son conjoint. Un grand Rav d’Erets Israël enseignait qu’il faut s’abstenir de tout reproche au sein du foyer. Et si une remarque s’avère indispensable, il est crucial de choisir le moment propice, jamais dans le feu de l’action, au moment de l’erreur ou de la difficulté.
Le Rav Chlomo Zalman Auerbach ztsl illustre cette sagesse de manière poignante. Lors de l’éloge funèbre de son épouse, il confia ne lui avoir absolument jamais causé de peine et, par conséquent, ne point devoir lui demander pardon devant son cercueil. Il s’excusa néanmoins, par simple convenance. Interrogé sur le secret d’une vie entière sans la moindre dispute, il répondit : « L’une des clés fut de ne jamais formuler une critique sous le coup de l’émotion, au moment même de l’échec ou de l’épreuve. »
Ce message est d’une importance capitale. Une parole irréfléchie, une remarque anodine en apparence, peut blesser profondément. Une simple critique sur le manque de sel dans un plat peut anéantir les efforts de celle qui a passé des heures en cuisine et engendrer un mal-être durable.
L’anecdote suivante illustre parfaitement ce danger :
Un couple avait fait le pacte de ne rien se cacher l’un à l’autre. Toutefois, au lendemain de leur mariage, l’épouse demanda à son mari une faveur singulière : pouvoir conserver un coffre fermé à clé, dont le contenu resterait son secret. Elle le supplia de lui accorder cette unique exception, et il consentit. Les années passèrent. Le mari, croisant chaque jour ce coffre mystérieux, sentait la curiosité le ronger.
Après vingt ans de mariage, à l'occasion d'un déménagement, il ne put retenir sa question plus longtemps et implora sa femme de lui révéler enfin son secret. Touchée par son insistance, elle accepta.
Ensemble, ils ouvrirent le coffre. Quelle ne fut pas sa surprise de voir sa femme en extraire… deux pulls verts tricotés à la main. « Qu'est-ce que cela signifie ? » demanda-t-il, perplexe. « Le jour de mon mariage, lui expliqua-t-elle, ma grand-mère m’a donné un conseil. Elle m’a dit : “Chaque fois que ton mari te contrariera ou te fera un reproche qui te blesse, au lieu de te disputer, prends de la laine, des aiguilles, et tricote un peu. Cela t’apaisera et préservera la paix de ton foyer.” Voilà mon secret.»
Le mari, flatté, arbora un sourire orgueilleux. « Incroyable ! En vingt ans, seulement deux pulls ! J’ai donc été un mari presque parfait. » Mais en plongeant la main dans le coffre, il sentit une enveloppe. « Et ceci, qu'est-ce que c'est ? » À l'intérieur se trouvaient vingt mille dollars. « D’où vient cet argent ? » s’étonna-t-il. « Mon cher, répondit-elle doucement, cet argent provient de la vente de tous les autres pulls que j’ai tricotés et vendus au fil de ces vingt années passées… »
Cette histoire, bien que légère en apparence, porte en elle une leçon profonde sur les blessures que l’on peut infliger sans en avoir conscience. La prudence, la retenue et la sensibilité à l’égard de l’autre sont des vertus inestimables. Nos Sages nous enseignent : « Que l’homme soit toujours vigilant quant à l’honneur de son épouse, car la bénédiction ne réside dans sa maison que par son mérite. »
5. La Reconnaissance – Hakarat hatov
Le cinquième fondement est la hakarat hatov, cette capacité précieuse à voir et à apprécier ce que l’on reçoit de l’autre.
La Guemara nous rapporte l’histoire de l’épouse de Rav Hiya, une femme au caractère difficile qui le mettait constamment à l’épreuve en faisant systématiquement l’inverse de ce qu’il lui demandait, ne cessait de l’embeter... Un jour, Rav lui conseilla de répudier cette femme qui semblait ne chercher qu’à le tourmenter. La réponse de Rav Hiya fut simplement : « Dayenou, chemegadlot et baneinou, oumatsilot otanou min ha’het — Il nous suffit qu’elles élèvent nos enfants et nous préservent de la faute. » Rav hiya savait apprécier ces deux piliers essentiels de sa vie avec une telle intensité qu’à ses yeux, ils surpassaient toutes les brimades du quotidien.
Savoir reconnaître et valoriser le bien que l’autre nous apporte est un puissant catalyseur d’estime réciproque. Malheureusement, comme l’observe le Roch, l’homme a une tendance naturelle à oublier les bienfaits et à ne retenir que les contrariétés. Or, la reconnaissance est la source même de l’amour et de l’amitié.
La Torah nous indique dès l’origine : « Lo tov heyot haadam levado, e’esseh lo ézer kenegdo — Il n’est pas bon que l’homme soit seul, Je lui ferai une aide qui lui corresponde ». La solitude est un état imparfait ; la présence de l’autre est donc en soi un bonheur fondamental qu’il nous incombe d’apprécier à sa juste valeur. Et il est ramené dans le talmud que celui qui n’a pas de femme se trouve sans joie, sans braha, sans muraille, sans bonté et sans torah. Et il n’est pas considéré comme un homme entier et parfait.
Plusieurs histoires viennent illustrer cette notion.
La première nous vient d’un Rav de Miami. Chaque soir, en passant devant la somptueuse demeure d’un couple de notables – lui, avocat, elle, exerçant une haute profession – il entendait des éclats de voix et des querelles incessantes. N’osant s’immiscer dans la vie de ce couple non pratiquant, qui ne fréquentait pas sa communauté, il hésita longtemps. Mais un jour, les disputes dépassant toute mesure, il n’y tint plus et prenant son courage à deux mains se présenta à leur porte. « Je ne souhaite pas me mêler de votre vie, leur dit-il, mais je constate que vous traversez quelques différends. Me permettez-vous de vous aider ? » Intrigués, ils acceptèrent. Le Rav leur proposa alors une segoula pour le chalom bayit : « Achetez telle plante, leur expliqua-t-il, plantez-la dans votre jardin. Si elle s’épanouit, c’est que vous êtes faits pour vivre ensemble et que la paix est à votre portée. Si elle dépérit, c’est que vous devez vous séparer. » Lassés de leurs conflits, ils suivirent ce conseil insolite. Au milieu de la nuit, l’épouse, incapable de trouver le sommeil, fut saisie d’angoisse : « Et si la plante ne poussait pas ? Vais-je perdre cet homme que, malgré tout, j’aime profondément ? » Déterminée à sauver son couple, elle se leva pour aller arroser la plante en secret. Arrivée dans le jardin, elle vit à la lueur de son téléphone la silhouette de son mari, penché sur la jeune pousse, un arrosoir à la main. Il avait eu la même impulsion. Ils comprirent alors l’intelligence du Rav : la simple menace de la séparation avait suffi à leur faire réaliser à quel point ils tenaient l’un à l’autre, et que leurs disputes n’étaient que l’œuvre du yetser hara. Un mois plus tard, le Rav, constatant le silence paisible qui régnait désormais dans la maison, vint prendre de leurs nouvelles. Ils lui racontèrent l’épisode nocturne et conclurent : « Nous avons compris votre message. Une seule nuit a suffi pour que nous sachions que nous ne pouvions nous séparer, tant nous nous apprécions mutuellement. »
Un Admour recevait régulièrement un couple qui venait le consulter pour des problèmes de chalom bayit. Un jour, le mari, de guerre lasse, demanda : « Rabbi, ne pourriez-vous pas nous donner une solution définitive ? » L’Admour répondit : « Certainement. Voici une segoula infaillible. Le vendredi après-midi, avant Chabbat, que ton épouse aille nettoyer la plaque de cuisson chez trois de vos voisines. » La femme accepta. Chez la première voisine, elle entendit le mari crier : « Tu n’as pas fait assez à manger, tu es toujours en retard ! » Chez la deuxième, elle s’affairait à nettoyer quand elle entendit un autre mari se plaindre : « Ce linge n’est pas propre, rien n’est repassé à temps ! » Chez la troisième, même scène : « Tu dépenses trop d’argent ! Tu nous prends pour les Rothschild !? » En rentrant chez elle, la femme se tourna vers son mari et lui dit : « Mon chéri, après ce que j’ai vu aujourd’hui, j’ai compris que tu es le meilleur des hommes. Plus jamais nous ne nous querellerons ! »
Le message est clair : la reconnaissance naît souvent d’une juste perspective. Savoir apprécier ce que l’on a, c’est le premier pas vers un foyer où règnent la paix et le bonheur.
Le Talmud de Jérusalem rapporte quant à lui l’histoire de Rabbi Yossi Hagalili, qui, tourmenté par le caractère acariâtre de son épouse, finit par divorcer. Tandis que Rabbi Yossi continuait une vie de sainteté et de prospérité, son ex-femme se remaria avec le gardien de la ville, qui devint aveugle et tomba dans la misère. Réduite à mendier pour le nourrir, elle le guidait à travers la cité. Un jour, son mari insista pour qu’elle aille quêter dans la rue où habitait Rabbi Yossi. Submergée par la honte, elle refusa. L’homme, furieux, la frappa en pleine rue. Rabbi Yossi, qui passait par là, entendit les cris. Sans une hésitation, il les recueillit tous les deux, les installa dans l’une de ses maisons et pourvut à leurs besoins jusqu’à la fin de leurs jours, appliquant à la lettre le verset : « Oumivsarkha lo titalam — Et de ta propre chair tu ne te détourneras point ». Nos Maîtres enseignent que cette expression désigne également l’ex-épouse d’un homme, dans une forme ultime de reconnaissance et de responsabilité qui transcende même la séparation.